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L’équipe d’Anne Frank – Espace francophone propose aux enseignants et aux éducateurs des pistes de réflexion et des outils pédagogiques conçus pour transmettre l’histoire d’Anne Frank, celle de la Shoah, pour aborder les Droits humains et pour faire face à l’antisémitisme, au racisme et aux discriminations.



L'histoire d'Anne Frank

Le récit de l’histoire de vie d’Anne Frank permet une approche pédagogique originale pour appréhender une période de l’histoire particulièrement complexe et difficile à enseigner dans ses multiples dimensions. Loin d’aborder l'histoire de la Shoah de façon simpliste, moralisante ou traumatisante, le récit du parcours de vie d’Anne Frank offre l’opportunité d’aborder cette période dans toutes ses dimensions, de ses racines aux persécutions puis au génocide, par une entrée particulièrement accessible, celle d’une histoire de vie interrompue par la volonté d'anéantissement des nazis.

Nous pouvons construire autour de l’histoire d’Anne Frank un récit à la fois historiquement précis et humainement riche d’enseignement. Grâce à son livre témoignage et aux nombreuses photographies de l’album de famille, miraculeusement préservés, la brève vie d’Anne Frank est parfaitement illustrée et documentée : il s’agit de l’une des victimes de la Shoah pour laquelle nous possédons le plus grand nombre de documents d’archive. Le récit de sa vie peut être continuellement illustré de photos de famille et de son témoignage : de sa naissance en 1929 à Francfort-sur-le-Main à l’exil de sa famille aux Pays-Bas en 1933, de la guerre en 1940 à l’entrée en clandestinité en juillet 1942, de la dénonciation à l’arrestation en 1944. Anne Frank rédige la dernière lettre de son Journal quelques jours auparavant. Concernant l’arrestation, la déportation vers Auschwitz, le transfert d’Auschwitz vers le camp de concentration de Bergen-Belsen, en Allemagne, et le décès d’Anne et de sa sœur Margot en février 1945, nous ne possédons alors plus que les fiches rédigées par les nazis, et quelques témoignages.

Mais, pour les plus jeunes, le récit doit s’arrêter aux portes du camp où Anne et Margot sont mortes de faim et d´épuisement. L’Histoire prend le relais, nous permettant une mise en perspective : elles ont été victimes d’un crime organisé, planifié, méthodiquement orchestré, un crime contre l’Humanité. Prenons garde à transmettre les faits sans détail imprécis, sans support iconographique inadapté, sans pathos : nous n’avons pas à nous appesantir sur ce qu’ont été la vie et la souffrance des deux jeunes filles d’Auschwitz à Bergen-Belsen. C’est, en effet, une période de leur histoire personnelle que nous ne pouvons pas réellement documenter. Nous nous contenterons des informations historiques dont nous disposons et n’utiliserons pas abusivement, en particulier avec les plus jeunes, les images des charniers de Bergen-Belsen.



L'histoire d'Anne Frank, une histoire de vie pour aborder l'histoire de la Shoah de l'école élémentaire à l'enseignement secondaire



Quels mots pour dire la destruction des Juifs d'Europe ?

Nous vous proposons ici une réflexion en termes de pédagogie sur les mots et les images se référant à la Shoah, ainsi qu'un glossaire des termes principaux.



De 1941 à 1944, la décision planifiée de destruction des populations juives d’Europe a été mise en œuvre par le régime nazi dans l’objectif d’une élimination totale de tous leurs membres, à l’échelle de la planète. Ce crime était dénié par ses auteurs dans le même temps qu’il était perpétré : les nazis ont tenu secrète leur décision et ils utilisaient des euphémismes qui ne devaient être compris que des initiés. Il s’est ainsi construit une sorte de langage codé qui permettait de ne pas avertir les victimes du sort qui les attendait, de ne pas alerter les populations témoins des rafles, de ne pas culpabiliser les bourreaux et d’innocenter, par avance, les coupables. Les termes allemands sont nombreux et leur usage était systématique. Traduits en français, ils doivent être utilisés avec la plus grande prudence car ils sont porteurs de déni : les déportations étaient nommées « réinstallation » ou « transfert à l’Est » ou encore « mobilisation de main d’œuvre », on n’assassinait pas, mais « nettoyait », « désinfectait », les chambres à gaz étaient camouflées en « douches », on évoquait un « traitement spécial » ou « Himmelweg » (le « chemin du ciel »)… Le champ lexical des nazis participait à la déshumanisation des victimes, reprenant les termes de la propagande antisémite où leurs victimes étaient désignées comme des « insectes », des « parasites », des « bacilles », des choses.

« Reconstituer la destruction d'une civilisation est d'autant plus difficile que les planificateurs du crime se sont évertués à en effacer les traces. »
Georges Bensoussan

La négation du génocide commence par les mots. Ce langage détourné par les nazis est aujourd’hui utilisé par les négationnistes pour banaliser, minimiser, nier les faits. Il est donc indispensable d’être attentif au lexique utilisé pour enseigner, et de veiller à ne pas transmettre, sans le savoir, les mots des bourreaux.

Le terme de « solution finale » (au « problème juif »), souvent utilisé par les historiens, doit être cité avec des guillemets car il reprend précisément les mots et le point de vue des bourreaux : « solution » sous-entendant un problème (juif), avec lequel il faudrait en « finir ». Ce qui nous situe dans le registre antisémite.

Génocide est le terme générique. Il a été forgé en 1944 par Raphaël Lemkin, un juriste d’origine juive polonaise, réfugié aux ÉtatsUnis. Utilisé pour la première fois dans l’acte d’accusation du procès de Nuremberg, il est aujourd’hui passé dans le langage courant, bien que trop souvent banalisé : « génocide » demeure un terme juridique encadré par les textes du Droit international, défini comme le « refus du droit à l’existence de groupes humains entiers » et, par extension : « tout acte commis dans l’intention de détruire méthodiquement un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Ce terme fait donc référence à la décision d’un État de détruire de façon méthodique et systématique un groupe cible de la population. L’histoire du XXème siècle retient comme avérés : le génocide des Arméniens (1915), le génocide des Juifs d’Europe (1941 à 1944) et le génocide des Tutsi au Rwanda (1994).

Holocauste est le terme en vigueur dans les pays anglo-saxons. D’origine grecque, il signifie étymologiquement « brûlé jusqu’au bout » et désigne une pratique antique de sacrifice, d’offrande. Souvent décrié parce qu’il sous-entend la soumission et la passivité des victimes - un sacrifice est un acte consenti ou volontaire dans un objectif d’ « expier » - ce terme demeure d’usage fréquent dans le langage international.

Shoah est un substantif qui signifie « catastrophe » en hébreu. Ce terme - en vigueur en Israël, dans le monde francophone et dans un nombre croissant de pays - nous paraît le mieux adapté pour désigner la destruction des Juifs d’Europe par les nazis.

Nous vous proposons un glossaire – non exhaustif – des principaux termes se rapportant à l'histoire de la Shoah :


La réflexion sur le langage, indispensable pour se départir du point de vue des nazis, s’étend aux choix iconographiques que nous effectuons dans le cadre du cours d’histoire. La plupart des documents - en particulier les photographies à notre disposition - sont issus des archives nazies ou ont été utilisés dans le cadre de la propagande nazie. Nous devons donc prêter une attention particulière au contenu des documents, à leur origine (que sait-on de cette photographie, par qui a-t-elle été prise et dans quel objectif ?) et au fait, par exemple, que nombre de clichés en couleur, ont en fait été recolorés dans un but de propagande. De même, l’usage des images de charniers - prises à la Libération, dans un objectif de fournir des preuves, comme à Nuremberg - est fortement déconseillé. Ces photographies monstrueuses, inoubliables pour certains, peuvent fasciner d’autres élèves. La nudité des cadavres est certes une projection du regard nazi sur des personnes « chosifiées », mais elle reproduit, brutalement et sans filtre, l’absence totale d’un respect aux victimes dont nous devons nous porter garants dans nos classes. Enfin, en aucun cas nous ne devons nous appesantir sur les conditions de l’assassinat en chambres à gaz. Personne n’en a témoigné, personne n’est revenu. Impérativement avec nos élèves les plus jeunes - en particulier à l’école primaire - le cours d’histoire doit s’arrêter à la porte de la chambre à gaz : les personnes ont été assassinées, point. Il est préférable de ne faire aucun commentaire sur les conditions du meurtre.

Éduquer pour faire face à l'antisémitisme

L'équipe francophone de la Maison Anne Frank propose aux enseignants et aux éducateurs une réflexion, des outils d'analyse et des ateliers pour combattre les préjugés antisémites.

Objectifs

Nous proposons ici de présenter quelques réflexions d’ordre pédagogique issues de notre expérience.
Pour éduquer face aux manifestations d'antisémitisme, nos objectifs pédagogiques consistent à amener nos jeunes à :

Notre expérience est issue de la transmission de l'histoire de la Shoah auprès d'adolescents.
Notre pédagogie est issue des méthodes de pédagogie active et de la pédagogie de la réussite que nous mettons en œuvre lors des ateliers de formation des guides adolescents. Elle est le produit d’une expérience internationale et, de ce fait, adaptée aux contextes multiculturels. Faire face à l’antisémitisme s’inscrit, pour nous, dans un travail pédagogique de longue haleine, qui passe par un apprentissage afin de contrer toute forme d'oppression et de violence, qu’il s’agisse directement d’antisémitisme, de racisme, de sexisme et d’hétérosexisme ou de toutes les formes de discrimination. Selon nous, c’est une démarche à entreprendre dès la fin de l’école primaire, qui devrait se poursuivre tout au long de la scolarité. Il ne s'agit donc pas ici de fournir des « recettes », mais de poser les bases d'une analyse et d'une réflexion, et de partager des outils – en constante évolution - issus de cette réflexion. Nous proposons d’ouvrir le dialogue aux enseignants et aux éducateurs qui souhaitent nous faire part de leurs remarques et expériences.



Pour cela, dès qu’ils sont évalués comme aboutis et pertinents, tous les ateliers, régulièrement mis à jour, sont à disposition sur notre site.




Quelques outils d'analyse

Comment déceler les manifestations de préjugés antisémites dans nos classes ou dans l'environnement des jeunes que nous avons mission d'éduquer, comment les analyser… ?

L'antisémitisme est un phénomène singulier, difficile à cerner et hybride. Il relève, certes, de préjugés fondés sur l'ignorance, procède de l'intolérance et de l'hétérophobie, mais il correspond aussi et surtout à l'expression d'une idéologie, d'une vision du monde biaisée, qui entrave, voire met « hors service » toute forme d'esprit critique. Dans cette rubrique, il s’agira de disséquer, à des fins d'analyse, le phénomène antisémite. Notre objectif est de proposer des clefs permettant de le reconnaître et de l'évaluer afin de pouvoir le combattre.


Antisémitisme :

Terme apparu en Allemagne à la fin du XIXème siècle destiné à caractériser en termes « raciaux » et pseudoscientifiques une hostilité aux Juifs, jusquʼalors perçue en termes religieux et culturels (antijudaïsme). De manière générale, ce synonyme de judéophobie désigne une forme de haine envers un groupe de personnes considérées, à tort ou à raison, comme « juives ». L’antisémitisme est imperméable à la raison. Du point de vue de l’antisémite, le « Juif » (et c’est pour cela que nous utilisons ce terme entre guillemets) est un être protéiforme qui condense des fantasmes. Les Juifs réels, se définissant eux-mêmes comme tels, peuvent même être absents sans que cela empêche les antisémites de les accuser. Toutefois, si tous les antisémites ne s’accordent pas sur ce qu’est, au juste, un « Juif », nous allons tenter d'établir ce qu’est un discours ou un acte antisémite.



L'origine du terme « antisémite »

En fait, la construction du mot (« anti-sémite ») ne se rapporte à aucune réalité. Ce mot a été inventé par les antisémites eux-mêmes, très vraisemblablement par l’Allemand Wilhelm Marr qui, en 1879, publiait une brochure dans laquelle il revendiquait le fondement d’un « mouvement antisémite »1.

À cette époque, l’antisémitisme relevait de la libre opinion et non d’un délit ou d’un crime. Le terme est issu d'un concept racialisant, couramment répandu en Europe à la fin du XIXème siècle, qui établissait une hiérarchie et une distinction « raciale » entre les êtres humains en plaquant sur des « peuples » les découvertes, alors récentes, de la linguistique.

En réalité, l'adjectif « sémite » ne peut en aucun cas s'appliquer à des peuples, mais seulement à des langues. Il fait référence aux langues sémitiques (dont l’arabe, l’araméen et l’hébreu) qui partagent les mêmes racines et sur lesquelles les racistes ont alors projeté le concept d’une prétendue « race sémite ».


1 Wilhelm Marr, Der Sieg des Judenthums über das Germanenthum Vom nichtconfessionellen Standpunkt ausbetrachtet (« la victoire du Judaïsme sur la Germanité ; observations d’un point de vue non-religieux »), Berne, Costenoble, 1879.


L'idéologie antisémite et ses caractéristiques

S’il est possible de distinguer l’« antijudaïsme2 » de l'« antisémitisme moderne » et d'un « nouvel antisémitisme » que l'on appelle également « judéophobie », l’utilisation du terme générique suffit toutefois à la démonstration proposée ici. Nous abordons l’antisémitisme comme une idéologie : c'est-à-dire comme une façon - partagée par un certain nombre d’individus - d’interpréter la réalité, de se positionner, de penser le monde. Il s’agit donc d’un mode et d’une structure de pensée, au-delà du seul fait de contenir une hostilité envers des personnes juives ou du fait qu'une victime de violences soit juive. De notre point de vue, il n'est donc pas judicieux de se contenter de contrer les préjugés par une information sur la réalité du judaïsme : le mode de pensée antisémite, quand il est assumé, n'a que faire de la réalité, pas plus que le négationniste n'entend les faits historiques. L’idéologie antisémite considère « les Juifs », à priori, comme coupables. Cette rhétorique procède de la même façon que la rumeur : elle circule mieux et plus vite que tous les arguments fondés sur l’analyse de faits et réalités, arguments nécessairement plus complexes, et qui la contrent. En ce qui concerne les jeunes que nous encadrons, qui ne sont pas des idéologues, notre expérience est la suivante : plus on veut contrer un préjugé, plus on est amené à le répéter et plus il se fixe dans l'esprit. C'est pourquoi il est essentiel, pour l'éducateur, de travailler en termes de prévention sur les structures de pensée qui sous-tendent l'idéologie antisémite.


Trois structures de pensée déterminent l'antisémitisme :

  1. Une structure à deux niveaux, opposant d’abord des groupes « eux » et « nous » ; puis opposant ces groupes-là à un « Autre absolu » ;
  2. Une vision conspirationniste du monde, procédant par l'incarnation, par la figure du « Juif », de problèmes de la société ;
  3. L’inversion des figures du bourreau et de sa victime.


2 Le terme d’« antijudaïsme » désigne le plus souvent l’hostilité anti-juive datant d’avant l’émancipation des Juifs dans les pays d'Europe (XVIIIème et XIXème siècle), véhiculée par la théologie chrétienne, qui perçoit la religion juive comme antagonique. On retrouve nombre de motifs issus de l’antijudaïsme dans l’antisémitisme moderne, ce qui relève selon le journaliste Nicolas Weill de la « nature communicationnelle » du phénomène : d’une époque à l’autre, il se transforme tout en demeurant le même (Weill Nicolas, La République et les antisémites, Paris, Grasset, 2004, p. 35).








Ateliers pédagogiques

Image : Formation Anne Frank Quelques propositions pédagogiques pour faire face aux manifestations de préjugés antisémites.

Cette rubrique se présente sous forme de propositions pédagogiques et d’exemples d'ateliers : supports, modes d'emploi et pistes pour des activités pédagogiques dont chacune prend pour cible l'un des ressorts de l'antisémitisme tels qu'ils ont été définis. La plupart de ces activités ont été testées et évaluées par notre équipe, au sein de laquelle elles font régulièrement l'objet d'échanges. Nos partenaires de terrain participent à l'évaluation et à l'amélioration de ces outils.

Les ateliers proposés s'enchaînent de manière progressive au fil des séances : les premiers ateliers constituent le socle de la réflexion et sont accessibles aux plus jeunes. Les dernières propositions pédagogiques visent à contrer la pensée complotiste, qui est d’apparition relativement récente - du moins à grande échelle - dans les classes. Vous pouvez nous aider : n'hésitez pas à nous faire part de vos idées et réflexions en nous écrivant.

Les premiers ateliers sont l'occasion de fixer quelques règles auxquelles il sera possible de se référer pour favoriser le cadre de la réflexion et des échanges. Elles sont volontairement exprimées en termes de droits individuels, élaborées lors d'échanges avec les jeunes, chacun, enseignants et élèves, convenant de les respecter. Elles peuvent être inscrites et visibles de tous, complétées...

Quelques exemples (non exhaustifs) : J'ai le droit d'être écouté-e, J'ai le droit d'être respecté-e, J'ai le droit de ne rien dire... Je parle à la première personne (qui permet de ne pas accepter qu'on désigne/dénonce un camarade), Je laisse la parole à celui ou celle qui s’est le moins exprimé...